Dans l’après-guerre, Montréal est devenue, en importance, le foyer de la troisième communauté de survivants de l’Holocauste hors d’Europe. Des milliers d'entre eux sont arrivés dans cette ville entre 1947 et 1955, soit dans le cadre du Projet des orphelins de guerre, soit grâce à divers projets de travail, soit par des parrainages familiaux ; ils ont alors entrepris de refaire leur vie en reconstituant leur famille et en recréant leurs communautés.
Boulevard des Réfugiés : Être chez soi à Montréal après l’Holocauste constitue un projet multimédia qui reflète les premières expériences des enfants survivants qui se sont installés dans le ghetto Saint-Urbain, quartier connu aujourd'hui sous le nom de Mile End ou Plateau. Une promenade historique audio, que vous pouvez découvrir en marchant ou de manière virtuelle, ainsi que des vidéos en ligne qui permettent de comprendre ce que signifiait pour ces enfants arriver dans un nouveau pays, seul ou avec des parents survivants, établir de nouvelles relations, faire face à l’adversité et à la discrimination, rechercher la sérénité et le bonheur, et simplement tourner la page.
Nous espérons que ces histoires du passé seront propices à des échanges culturels sur le rôle que les villes, les quartiers, les regroupements ethniques et les citoyens canadiens continuent de jouer dans les expériences variées vécues par les immigrants durant leur relocalisation.
Si vous ne pouvez pas vous rendre dans le quartier du Mile End à Montréal, la promenade vous est aussi offerte de manière virtuelle, combinant un déplacement virtuel dans les rues du quartier avec les enregistrements audio des récits des réfugiés.
Fishel Goldig, qui est le narrateur de cette promenade, est né en 1933 à Mielnica, en Pologne. Au début de 1942, lui et sa famille sont prisonniers du ghetto de Borszczow. À la fin de cette même année, ils se sont dissimulés dans la petite cave d'une ferme d’Ukraine. Ils sont restés là jusqu’à libération au printemps de 1944. Les Goldig ont vécu en divers points de l’Europe avant d’immigrer au Canada en 1948, grâce au programme de parrainage familial. À Montréal, Fishel a fréquenté l’école secondaire Yeshiva Merkaz Hatorah. Il continue de se produire au théâtre et chante occasionnellement dans les synagogues locales. En 2015, après avoir fait le récit de sa survie à 180 jeunes, provenant en majorité de Montréal, il a décidé de devenir conférencier au Musée de l’Holocauste Montréal. Depuis, il a eu le privilège de s’adresser à des centaines de jeunes et d’adultes. Il a quatre enfants et sept petits-enfants.
Ted (Tibor) Bolgar est né en 1924 à Sarospatak, en Hongrie. En avril 1944, lui et sa famille sont conduits au ghetto de Satoraljaujhely, puis au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau. À leur arrivée, la soeur et la mère de Ted sont immédiatement jetées dans les chambres à gaz ; lui-même a été séparé de son père. Par la suite, il a été envoyé dégager les décombres de l'ancien ghetto de Varsovie. Il survécut à une marche de la mort vers l’Allemagne, jusqu’au camp de concentration de Dachau ; de là, il fut envoyé dans deux autres camps de travail, Muhldorf et Mitlegars. Après la libération, ayant appris que son père était vivant, Ted resta déterminé à quitter l’Europe. Pour ce faire, il a falsifié son âge et son statut afin de répondre aux exigences du Projet des orphelins de guerre. Il est venu à Montréal en 1948 et s’est finalement établi dans le commerce des fruits, comme grossiste. Il épousera une autre survivante hongroise, Marianne Guttman, en 1954. Ils ont fondé une famille qui compte bon nombre de petits-enfants et d’arrière-petits-enfants. En plus d’être un conférencier fréquent pour le Musée de l’Holocauste Montréal depuis trente ans, Ted a participé en tant que rescapé à la Marche des vivants, accompagnant le contingent montréalais dans son voyage annuel en Pologne et en Israël, depuis quinze ans.
Paul J. Herczeg est né à Ujpest, en Hongrie. En juillet 1944, lui et ses parents sont parqués dans des wagons à bestiaux à destination du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau. Paul et son père passèrent le processus de sélection et furent menés plus tard au camp de concentration de Dachau, mais sa mère y laissa la vie. Dans le cadre de la section de la corvée de pommes de terre à Dachau, Paul a survécu en récupérant des restes qui étaient désignés comme rations pour les porcs. Son père n’eut pas cette chance : cinq mois de durs labeurs plus la pénurie de vivres et de soins auront eu raison de lui. Après la libération au printemps 1945, Paul vit dans plusieurs villes allemandes avant d’arriver au Canada en janvier 1948, dans le cadre du Projet des orphelins de guerre. Installé à Montréal, il fréquentera la Bibliothèque publique juive et enseignera également l’anglais aux immigrants hongrois. Il a entrepris sa carrière dans la gestion de détail puis a fondé une société d’importation, de concert avec un autre rescapé hongrois. En 1958, il épouse Judith Singer, elle-même survivante de la Hongrie. Ils auront une fille. Un des membres fondateurs du Musée de l’Holocauste Montréal, il s’est adressé aux élèves des écoles locales, au nom du musée, pendant non moins de vingt ans.
Tommy (Thomas) Strasser est né en 1926 à Nove Zamky, en Tchécoslovaquie. En 1942, il ira travailler dans l’entreprise de sa famille à Budapest, en Hongrie. L’invasion par l’Allemagne en 1944 mène Tommy à un certain nombre de camps de travail forcé, puis à une marche de la mort. Grâce aux efforts de Raoul Wallenberg, il est parvenu à retourner à Budapest, où il a été envoyé dans le ghetto, puis dans un orphelinat. Après la libération en janvier 1945, ayant appris qu’aucun membre de sa famille n’avait survécu, il se rend en France. Il y vit jusqu’en 1948, année à laquelle il immigra au Canada dans le cadre du Projet des orphelins de guerre. À Montréal, il s’est établi dans la vente de détail, a épousé une survivante polonaise, Annie Brenner, en 1960, et a élevé une famille nombreuse, qui comprend plusieurs petits-enfants. En tant que survivant de l’Holocauste, Tommy estime de son devoir d’éduquer et d’informer autant de personnes que possibles sur les tragédies et les horreurs qu’il a vécues, afin que l’histoire ne se répète pas. Au cours des dernières décennies, cette conviction l’a amené à partager son récit avec des milliers de visiteurs au Musée de l’Holocauste Montréal.
Ted, Paul et Tommy se considèrent comme une véritable famille, ayant établi et cultivé des relations depuis leur arrivée à Montréal en 1948.
George Reinitz est né en 1932 à Szikszo, en Hongrie. En 1944, il est déporté avec sa famille au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, où sa mère et sa sœur seront assassinées. George est resté avec son père, parce qu’il a menti sur son âge, mais après avoir contracté une pneumonie et être passé par l’hôpital, les deux hommes ont été séparés ; son père a été plus tard abattu lors d’une marche de la mort. Après la libération en janvier 1945, il passe par divers camps de personnes déplacées puis par un orphelinat avant d’immigrer au Canada, dans le cadre du Projet des orphelins de guerre. Peu après son arrivée à Montréal, il est devenu lutteur de calibre mondial. En 1956, il démarre une entreprise, Jaymar Furniture, qu’il administre avec succès. En 1958, George épousera Eleanor Schwartz, Juive née au Canada. Ils ont maintenant une grande famille qui compte plusieurs petits-enfants. George soutient le Musée de l'Holocauste de Montréal depuis sa création et y a été conférencier pendant plusieurs années, ce qui lui a permis de partager son récit avec des milliers d’étudiants. Il témoigne également en Floride, où il passe ses hivers. Il a publié ses mémoires en 2017.
Musia Schwartz (née Szpisajzen), née en 1930 à Tomaszów Lubelski, en Pologne, a grandi à Lwow. En juin 1941, sa famille est forcée d’aller dans le ghetto de la ville. Bientôt des raids organisés conduisent à la disparition et à la mort de nombreux parents. Sa mère a été enlevée en août 1942. Musia a été envoyée au camp de concentration de Janowska, mais a réussi à convaincre les soldats qu’elle n’était pas juive et a été libérée. Son père lui a obtenu un certificat de naissance la disant chrétienne ; elle a survécu en travaillant comme bonne à Varsovie. Après la guerre, Musia a été réunie avec une tante, seule survivante de la famille. Aux camps de personnes déplacées d’Eschwege et d’Aglasterhausen, elle a fait de son éducation une véritable priorité. Musia est venue au Canada en 1948 dans le cadre du Projet des orphelins de guerre, et s’est installée à Montréal. En 1950, elle épousera un Juif polonais, Leon Schwartz, qu’elle avait rencontré à la Bibliothèque publique juive. Quand leurs deux enfants ont commencé l’école, Musia a entamé des études universitaires ; elle a ensuite obtenu un doctorat en Littérature comparée, puis a enseigné la littérature. Elle a également joué un rôle déterminant au Musée de l’Holocauste Montréal, interviewant des dizaines de survivants pour sa collection d’entrevues ainsi que pour la USC Shoah Visual History Foundation dans les années 1990, afin de s’assurer que leurs expériences soient bien documentées.
Renata Skotnicka-Zajdman est née en 1928 à Varsovie. Après la mort de ses parents, elle étudie dans un pensionnat russe jusqu’au bombardement de juin 1941. Entre 1941 et 1943, Renata entre et sort du ghetto de Varsovie à trois reprises. Aidée par la résistance polonaise, elle a pu se faire passer pour une Catholique et ainsi éviter le camp de Treblinka. En avril 1943, elle est prise dans un coup de filet allemand et déportée vers le Troisième Reich en tant que travailleuse forcée ; elle y restera jusqu’à sa libération. Alors qu’elle était dans un camp de personnes déplacées, Renata a reçu une formation d’infirmière. En 1948, elle immigre au Canada et s’installe à Montréal. En 1953, elle épousera Abram Zajdman, lui-même survivant de la Pologne. Ensemble, ils ont eu deux enfants et ont bâti une solide entreprise d’import-export. Au début des années 1990, Renata a commencé à partager l’histoire de sa vie dans les camps, devenant la première interviewée pour le projet Living Testimoniesde l’Université McGill, puis en devenant intervieweuse, et finalement directrice associée. Elle a également mené des entrevues pour la USC Shoah Visual History Foundation. En outre, Renata a dirigé des tournées d’étudiants, à travers la Pologne, a raconté son vécu, tant au Canada qu’à l’étranger, a réuni des parents disparus depuis longtemps avec des enfants dissimulés, qui n’avaient jusque-là que peu ou pas de liens avec leurs racines juives ; elle a servi de consultante historienne pour un film de Hollywood sur Irena Sendler. Renata est décédée en 2013.
Nous tenons tout d’abord à remercier ceux et celles qui sont au cœur de ce projet : nos interviewés. Leur gentillesse et leur enthousiasme à partager leurs histoires et leurs photos personnelles se notent partout dans le Boulevard des Réfugiés. Nous espérons que ce projet permettra de relater, pendant de nombreuses années encore, la beauté et la puissance inhérentes à leurs histoires. Merci à Ted Bolgar, Paul Herczeg, George Reinitz, Tommy Strasser, Musia Schwartz, et Renata Zajdman. Nous avons également mené des entrevues avec Sidney Zoltak et Muguette Myers, et nous apprécions leur volonté de nous aider à mettre davantage en contexte les expériences d’après-guerre des survivants ; des extraits de leurs entrevues sont disponibles ici.
Les Archives de la Bibliothèque publique juive à Montréal (Jessica Zimmerman), les Archives juives canadiennes Alex Dworkin (Janice Rosen), le Musée du Montréal juif et le Centre d’histoire orale et de récits numérisés ont joué un rôle important dans cette démarche permettant de mieux connaître la communauté juive montréalaise de l’après-guerre. Nous remercions Zelda Abramson pour son enthousiasme et sa volonté de partager récits et photos, John F. Lynch pour avoir créé notre plan d’accompagnement, Lyndsey Barr pour avoir mené des recherches approfondies sur les récits de cette époque, et Judy Gold pour avoir participé à la narration française de la promenade audio.
Le Boulevard des Réfugiés a été rendu possible grâce au financement par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et à un partenariat collège-communauté avec le Musée de l’Holocauste Montréal. Nos employeurs respectifs – le Collège Dawson, l’Université Saint-Paul et le Musée de l’Holocauste Montréal – nous ont également fourni un financement supplémentaire ainsi que le temps et la souplesse nécessaires pour mener à bien les différentes étapes de ce projet.
Nous tenons également à vous remercier, chers auditeurs, pour avoir bien voulu entrer dans le jeu. Il existe de solides liens entre les expériences des survivants de l’après-guerre et celles des personnes qui continuent d’affluer à Montréal dans le but de reconstruire leur vie. Il ne faudrait que ces récits se perdent dans l’oubli si nous entendons progresser et bâtir une société qui soit juste et équitable.
Bonne écoute !
Stacey Zembrzycki, Nancy Rebelo, Anna Sheftel, Eszter Andor, Philip Lichti, and Joyce Pillarella
Stacey Zembrzycki enseigne au département d’Histoire du Collège Dawson à Montréal. Historienne orale et publique spécialisée dans les expériences des groupes ethniques, des flux migratoires et des réfugiés, elle travaille auprès des survivants de l’Holocauste à Montréal depuis 2008, menant des entrevues et participant à la Marche des vivants de 2011, en tant que « chaperonne survivante ». Elle est l’auteure de According to Baba: A Collaborative Oral History of Sudbury’s Ukrainian Community (UBC Press, 2014), qui a été présélectionné pour le prix littéraire Kobzar 2016. Elle est également coéditrice de Oral History Off the Record: Toward an Ethnography of Practice, lauréat du prix du livre 2014 de la Oral History Association, et Beyond Women’s Words: Feminisms and the Practices of Oral History in the Twenty-First Century (Routledge, 2018), lauréat du prix du livre 2019 de la Oral History Association.
Eszter Andor est coordonnatrice des commémorations et de l’histoire orale au Musée de l’Holocauste Montréal (MHM). Elle travaille auprès de survivants de l’Holocauste qui partagent leurs récits avec des étudiants et offrent leurs témoignages vidéo au musée. Andor est également responsable de la collection d’histoire orale du musée, ainsi que de la production de matériel vidéo pour ses divers projets. Elle organise des commémorations et d’autres manifestations culturelles qui impliquent également des survivants. Elle a contribué à la création du site web Histoires de survivants et à l’exposition virtuelle Refaire sa vie, produite par le MHM pour le Musée virtuel du Canada. Elle a reçu une formation en histoire orale et en études judaïques. Avant de quitter la Hongrie pour le Canada, elle a travaillé pendant de nombreuses années pour un organisme sans but lucratif en Europe, recueillant des entrevues d’histoire orale auprès de survivants de l’Holocauste.
Nancy Rebelo enseigne au département d’Histoire du Collège Dawson à Montréal. Elle a travaillé à divers projets d’histoire publique, dont Project 55: A Historical Audio Tour of Ethnic Communities on St-Laurent Boulevard Aboard Bus 55, et une visite à pied intitulée Memories of My Home …Memories of My Neighbourhood – Cabot Square. Ces projets mettent en valeur la voix et la mémoire des Montréalais, offrant une histoire intime et méconnue des diverses communautés et de la ville, ainsi que de leurs quartiers. Étant donné son intérêt pour la pédagogie, Rebelo a également travaillé sur un certain nombre d’initiatives qui assurent la réussite des étudiants dans le cadre du programme de Sciences sociales du Collège Dawson. De plus, elle est une des coordonnatrices de la conférence annuelle de la Semaine des sciences sociales, organisée par ce même collège.
Anna Sheftel est professeure agrégée spécialisée dans l’étude des conflits, rattachée à l’Université Saint-Paul à Ottawa. Cette historienne orale chevronnée a réalisé des projets en Bosnie-Herzégovine, ainsi qu’auprès de survivants de l’Holocauste, à Montréal. Elle a également publié de nombreux articles sur la pratique et l’éthique de l’histoire orale, notamment dans Oral History Off the Record: Toward an Ethnography of Practice (Palgrave Macmillan, 2013), coédité avec Stacey Zembrzycki, ouvrage qui a remporté le prix 2014 de la Oral History Association
Production multimédia : Philip Lichti
Conception graphique et développement Web : MAT3RIAL
Conception graphique du livret d’accompagnement : Joyce Pillarella
Traduction : Lexicos